Ce matin, alors que je discutais avec les deux bibliothécaires de la ville dans laquelle j'habite (deux femmes très agréables, d'une grande gentillesse, très disponibles, très intéressantes et...TRES bavardes, oui, encore plus que moi...si, si, c'est possible.....Alors imaginez si je me retrouve à la bibliothèque avec elles deux et mon amie Catherine.....hihi) nous avons discuté de la poésie de Lilian. Elles l'ont trouvée longue, mais l'une d'elle m'a parlé d'une poésie que de nombreux petits Antillais apprennent lors de leur cursus scolaire (c'est quasi inévitable et incontournable, apparemment), et qui est encore plus longue.
Oui, elle est très longue, certes, mais tellement belle!!!! J'adore cette poésie. Je partage cette découverte avec vous. Le texte est superbe, je trouve. Qu'en pensez-vous?
(le deuxième vers nous a, malgré tout, fait sourire, Catherine et moi : "je suis né fatigué".....hihihi...Ca laisse songeur...Ce petit garçon n'aurait-il pas fini chez France Telecom en Martinique?????? Mais ne généralisons pas et ne tirons surtout pas de conclusions hâtives !!!!!)
Prière d’un petit enfant nègre
Seigneur je suis très fatigué
Je suis né fatigué
Et j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école,
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n’y aille plus.
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l’aube vient chasser
Je veux aller pieds-nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
Et que l’Usine
Sur l’océan des cannes
Comme un bateau ancrée
Vomit dans la campagne son équipage nègre...
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école
Faites, je vous en prie, que je n’y aille plus
Ils racontent qu’il faut qu’un petit nègre y aille
Pour qu’il devienne pareil
Aux messieurs de la ville
Aux messieurs comme il faut.
Mais moi je ne veux pas
Devenir, comme ils disent,
Un monsieur de la ville
Un monsieur comme il faut.
Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les secs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune
Je préfère vers l’heure où la lune amoureuse
Parle bas à l’oreille des cocotiers penchés
Ecouter ce que dit dans la nuit
La voix cassée d’un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba et compère Lapin
Et bien d’autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.
Les nègres, vous le savez, n’ont que trop travaillé
Pourquoi faut-il de plus apprendre dans les livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d’ici
Et puis elle est vraiment trop triste leur école
Triste comme
Ces Messieurs de la ville
Ces Messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école.
Guy Tirolien (extrait de "balles d'or")
Guy Tirolien est un poète né en 1917 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, et décédé en 1988 à Marie-Galante. Guy Tirolien s'est engagé dans le combat de la Négritude, aux côtés de Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas quand ceux-ci fondèrent ce mouvement littéraire.
Il contribuera à fonder la revue Présence africaine, publiée simultanément à Paris et à Dakar dès 1947. Il sera administrateur colonial au Cameroun et au Mali, et il contribuera efficacement au rapprochement entre les Africains et les Antillais. Il y rencontra les Afro-Américains MacKay, Langston Hughes et Richard Wright, membres de la Harlem Renaissance.
Il sera fait prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale, aux côtés de Léopold Sédar Senghor. Il mènera ensuite une carrière de fonctionnaire international qui le verra devenir représentant de l'ONU au Mali et au Gabon notamment.
Il est l'auteur d'une mondialement célèbre "Prière d'un petit enfant nègre" (1943) reprise dans son recueil "Balles d'or"...
je sais , on s'ennuie à l'école ,un peu ,beaucoup
..sans doute parce que décalage avec le quotidien est trop important.courage les enfants !